vendredi 28 mai 2010

Voilà

Voilà. Au début du mois d’avril, j’ai connu une dégradation soudaine de mon état de santé. Augmentation intense de la douleur, nausées, vomissements, faiblesse généralisée. Il est clair pour moi que je commence à partir depuis quelques semaines. Le Tarcéva n’a pas fonctionné. Il y a eu progression des lésions aux ganglions et au foie. J’ai interrompu le traitement. Je n’étais simplement plus en mesure de continuer avec la douleur et les vomissements. Je suis maintenant traitée en soins palliatifs par le CLSC. Ça s’est fait très en douceur et ça continue d’aller très bien. Ils donnent un service extraordinaire. Je me rends compte que j’ai l’immense chance de faire partie de l’infime minorité des Québécoises et des Québécois (9,7 %) qui bénéficient de soins palliatifs à domicile en fin de vie. Ayant vécu pendant trois semaines l’absence de soins qui a accompagné la perte de mon dossier de santé dans les méandres du système déplorable d’oncologie dans lequel nous sommes forcés de fonctionner, j’ai une idée de ce que pourrait représenter les visites fréquentes dans les couloirs de l’urgence. L’infirmière téléphone tous les jours et le médecin vient me voir une fois par semaine. Il est d’une très grande douceur et c’est avec lui que j’ai discuté de la situation. Pour la première fois depuis de début de cette aventure, j’ai enfin l’impression d’être vraiment soignée.

J’ai aussi la chance d’avoir été entourée de soins constants tout au long de l’hiver. Depuis le 4 décembre 2009, date du premier traitement de chimiothérapie, j’ai été soignée matin, midi et soir par ma famille, mes amies et amis qui m’ont prodigué sans relâche les soins dont j’ai eu besoin. Je n’ai pas non plus passé une seule nuit par moi-même dans ma maison. J’ai eu l’impression d’être passée de mains à mains dans un réseau de personnes que j’aime et qui m’aiment, qui m’ont manifesté chaque jour amour, amitié, sollicitude. Je continue à passer de très beaux moments et j’apprécie chaque minute où je suis bien.

Extrait de mon journal de bord :

« En regardant la lumière sur les plantes de mon salon si paisible, rempli de soleil, j'ai l'impression de goûter au maximum chaque parcelle de la vie, de l'intensité de la vie dans ce qu'elle a de plus beau. C'est comme un concentré de vie alors qu'en temps normal tout se dilue dans la frénésie de l'agitation. C'est beau, paisible, joyeux. Un moment de bonheur. »

Il y en a beaucoup comme ça. Je me sens en paix. Je crois que je suis rendue où je dois être dans ma vie. J’ai l’impression d’avoir guéri beaucoup de blessures personnelles, et que tout le monde autour de moi a fait un bout de chemin dans le même sens. Je n’ai aucune idée du temps qui reste, mais je sais qu’il est compté.

Évidemment tout n’est pas toujours facile. Je ressens souvent une immense tristesse à l’idée de quitter la vie, une profonde anxiété me rattrape par moments, la douleur n’est pas toujours sous contrôle et il y a de difficiles dérapages. Je n’ai pas peur de l’instant de la mort. J’ai l’impression que je serai accompagnée, que j’irai vers la lumière. Ce qui arrivera au juste, je n’en au aucune idée, mais ça n’a pas vraiment d’importance. Je n’ai pas de croyances fortes, seulement des impressions forgées au fil du temps. Ce qui me fait peur, c’est l’absence de repères, la confusion, la perte d’autonomie, la douleur possible qui pourront meubler le temps entre le moment présent et l’instant de la mort.

Pourtant, le sentiment dominant, c’est une immense gratitude pour ces moments passés à donner et à recevoir l’amour des personnes qui me sont proches.

Qui êtes-vous ?

Je suis sociologue, féministe, professeure à l'université, mère d'une fille de 19 ans

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