mercredi 4 novembre 2009

En apesanteur, entre l'anecdote et la statistique

C’est curieux, presque chaque personne avec qui je discute du cancer des poumons me parle du cas d’une matante Aline ou du frère de la sœur d’untel qui a souffert du cancer du poumon et qui est toujours en vie un an, trois ans, cinq ans, vingt ans plus tard. Il y a aussi tous ces livres que j’ai commandés sur Amazon ou chez mon libraire sur les guérisons attribuées en partie à des facteurs autres que strictement médicaux comme le désir de vivre, l’espoir, le sens attribué à la maladie, la force du réseau d’entraide, la qualité du lien entre le médecin et la personne malade. Un effet placebo fondé sur des facteurs précis et avec des effets très réels. Il y a vraiment beaucoup de témoignages qui vont dans ce sens. Par ailleurs, il y a les statistiques. On ne peut pas imaginer plus grand écart entre ces deux types d’information. D’un côté l’espoir, sinon de guérison, du moins d’une vie plus heureuse, quelle qu’en soit la durée; de l’autre, les chiffres, épouvantables (épouvantable : « qui cause l’épouvante »; épouvante : « peur violente et soudaine causée par quelque chose d’extraordinaire, de menaçant » (Petit Robert)) : pourcentages de personnes qui sont encore en vie après cinq ans ou nombre médian de mois de survie.

D’un côté les anecdotes universellement positives que l’on me rapporte, de l’autre côté les statistiques absolument négatives, et aucune commune mesure entre les deux. Ma mère me demandait l’autre jour si je préfère être une anecdote ou une statistique. Intéressant. L’anecdote me semble beaucoup plus sympathique. La nuit, par contre, quand le sommeil ne vient pas, que la maison est froide et silencieuse, que j’entends mon souffle qui griche comme un vieux vinyle, que les douleurs s’allument et s’éteignent dans ma poitrine, comme une machine à boules silencieuse, les pinballs de mon adolescence, il faut beaucoup d’efforts pour ne pas penser à ces chiffres.

La métaphore de l’apesanteur tente de décrire où j’en suis en ce moment dans le système médical. Lundi main, le 2 novembre, à 11 h 47, pendant que j’échangeais quelques mots avec ma fille entre ses deux cours, juste avant de partir pour un rendez-vous chez le dentiste, le Dr. C. a laissé un message sur ma boîte vocale. Les résultats complets de la biopsie montrent qu’il a réussi à obtenir un « motton », ce qui lui a permis de poser un diagnostic; il n’est donc pas nécessaire de procéder à une biopsie du foie et il me réfère en oncologie prioritaire. Il me donne un numéro de téléphone si j’ai des questions. Fin du message.

Il est difficile de décrire précisément ce qu’on peut ressentir à l’écoute d’un tel message. Déception profonde d’avoir raté l’appel, soulagement de ne pas avoir à se faire entrer une aiguille dans le foie par un inconnu et de savoir qu’on a enfin un diagnostic précis; oncologie prioritaire est à la fois rassurant (ça ira vite) et inquiétant (ça doit être grave). J’ai immédiatement rappelé pour avoir des détails mais je n’ai obtenu qu’une boîte vocale. J’ai passé deux jours collée au téléphone à attendre un appel avant de conclure qu’il ne rappellerait pas. J’ai eu un très bon rapport avec le Dr C. Il était très gentil et drôle, il était peu loquace mais répondait sans détour à mes questions, et j’ai eu l’impression depuis le début qu’il a fait tout ce qu’il pouvait pour accélérer les choses. Le diagnostic de cancer provoque un grand désarroi et on se raccroche comme on peut. Je m’étais en partie accrochée à ce désir que je sentais chez lui de faire avancer les choses.

Lors du dernier rendez-vous, j’ai eu l’impression qu’il décrochait, mais je n’avais pas compris qu’il était en train de passer la rondelle (moi, en l’occurrence) au prochain joueur. Sauf que je ne sais pas qui sera le prochain joueur. Je n’ai pas de diagnostic précis, je ne sais pas ce que signifie oncologie prioritaire et quel sera le temps d’attente. J’ai rappelé ce matin le Dr C. lui demandant un rendez-vous pour qu’il m’explique quel est le diagnostic et j’attends son appel. J’ai appelé le service d’oncologie de l’hôpital pour en savoir plus et on doit me rappeler. J’essaie de rejoindre mon médecin de famille pour parler d’insomnie et d’anxiété, mais je n’arrive même pas à avoir la ligne. Un ami d’une amie, qui est psychiatre, est à l’extérieur du pays. Pas facile d’être malade en ces temps de H1N1. Tout ça crée parfois une atmosphère de catastrophe. Et mes amies me demandent ce que je fais de mes journées.

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Qui êtes-vous ?

Je suis sociologue, féministe, professeure à l'université, mère d'une fille de 19 ans

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